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Éditorial
Pour ceux qui ont les yeux rivés sur les
cotes stratosphériques du marché de
l’art contemporain, les « jeux sont faits ».
D’après eux, et comme l’analyse la socio-
logue Nathalie Heinich dans son dernier
livre*, nous serions définitivement entrés
dans une nouvelle ère : celle du règne sans
partage des « artistes entrepreneurs »,
des stratèges de la communication qui,
par l’entremise de leurs soutiens publics
et privés (et de leurs inévitables suiveurs
fascinés par le star-system et le « bling-
bling»), développent une stratégie agres-
sive en forme de miroir emphatique du
capitalisme triomphant : l’égo démesuré
et le pseudo-discours plus importants que
la substance de l’œuvre; la posture cynique
de provocation arrogante et déceptive – ce
qu’est devenue « l’attitude » – plutôt que
l’innovation esthétique ; la critique féroce
envers tout ce qui n’est pas à l’aune de
leurs intérêts (en particulier la concurrence
de la peinture et de la sculpture, considé-
rées comme révolues) ; une production
délibérément spectaculaire et sans enjeu
symbolique afin que la spéculation mar-
chande puisse avoir lieu.
Or, de même que certaines œuvres plus
ou moins marginalisées par l’époque dont
elles sont issues ont perduré, de même
certaines œuvres d’art contemporain
considérées comme secondaires par le
marché à courte vue vont progressivement
émerger de par leurs qualités intrinsèques.
«Que périsse le trafic des tulipes, la culture
des fleurs reste», écrit Vincent Van Gogh.
Lesquelles ? C’est l’un des enjeux de la
revue
Art Absolument
de résister au dis-
cours ambiant – par définition relatif et
éphémère. De défendre les œuvres nova-
trices émancipées des diktats de la domi-
nation économique et sociale décrétant ce
qui serait exclusivement valide. Celles qui,
de par leur substance et leur invention for-
melle, et ce, quel que soit le médium choisi,
créent pour toujours de nouvelles sensa-
tions, de nouvelles émotions, de nouvelles
images, de nouvelles pensées, voire de
nouvelles manières de capter « l’absolu».
Celles qui, élargissant réellement notre
regard et notre esprit, ont un
impact durable
sur le spectateur les éprouvant en tant que
telles puisque, bien que nous vivions dans
une société du zapping,
tout passe sauf
l’empreinte de ce qui est perçu !
Pascal Amel
Tout passe sauf l’empreinte
de cequi est perçu!
* Lire notre critique du livre
Le Paradigme de l’art contemporain
de Nathalie Heinich dans la rubrique Bibliothèque.
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