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reprenaient les astres et les replaçaient dans la voûte
céleste. » C’est sous cet immense ciel étoilé, dans
l’escarpement grandiose et défensif de Bandiagara,
que les Tellems puis les Dogons à leur suite se sont
réfugiés, fuyant l’islamisation forcée, les razzias
d’esclaves et l’avancée du désert, pour y célébrer
une culture austère et majestueuse, à la mythologie
subtile et aux formes artistiques radicales.
Pauvre et puissant, solide et longiligne, géomé-
trique et anthropomorphique, l’art dogon demeure
une passion française tout au long du
XX
e
siècle.
Sans cette aventure presque amoureuse, il est à
craindre que l’histoire de ce petit territoire et de
ce peuple modeste de 400 000 âmes tout au plus,
sans écriture, sans puissance économique ni poli-
tique ou démographique, avec une production de
statuettes de faible envergure, aurait disparu dans
les profondeurs de l’oubli. Marcel Griaule, avec son
lyrique
Dieu d’eau
et ses célèbres autres écrits sur
les cérémonies de masques et sur la cosmogonie
dogon, tout comme Michel Leiris avec sa mélanco-
lique
Afrique fantôme
(qui décrit par le menu la mis-
sion Dakar-Djibouti menée au début des années 1930
par Griaule et célébrée par
Minotaure
) ont fait oublier
Louis Desplagnes. S’il passa son temps à parcourir le
plateau de Bandiagara tout au long de l’année 1905
pour y chasser l’éléphant à cheval, ce petit lieutenant
colonial, qui devait mourir au front en 1914, n’en fut
pas moins le premier à porter un œil ébloui sur le
degré d’évolution sociale et culturelle atteint par ces
paysans-guerriers. De sauvages arriérés et dange-
reux, les Dogons deviennent avec lui des cosmo-
graphes de l’univers, dont la plus infime production
relève d’un art conceptuel et raffiné.
Plus que la pensée symbolique, c’est l’ailleurs
absolu du territoire dogon qu’a voulu interroger
Hélène Leloup, commissaire de l’exposition. Cette
marchande d’art primitif, dont la galerie parisienne
a cessé ses activités en 2004, a tout d’abord parcouru
le Pays dogon en tout sens, à bord d’un vieux camion
de l’armée américaine, pour y collecter divers objets
et statues et les revendre avec succès à de riches
Américains, comme John Huston ou Kirk Douglas.
Mais très vite, après la disparition progressive
des pièces anciennes, presque toutes vendues en
cachette à partir des années 1960, ce petit bout de
bonne femme intrépide ne cesse plus de se rendre en
Pays dogon pour interroger les «vieux», afin de conti-
nuer à apprendre. « Je n’aime pas trop les choses
aimables, explique-t-elle. Les sculptures dogons
sont sévères ; il y a une grandeur dans ces pièces,
un côté janséniste que l’on retrouve d’ailleurs chez
Figure aux bras levés, Tellem.
Bois dur, patine rituelle croûteuse.
Paris, collection particulière.
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