ÉDITORIAL
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Qui dit esprit dit, avant tout, conscience. Mais, qu’est-ce
que la conscience ? Vous pensez bien que je ne vais pas
définir une chose aussi concrète, aussi constamment pré-
sente à l’expérience de chacun de nous. Mais sans donner
de la conscience une définition qui serait moins claire
qu’elle, je puis la caractériser par son trait le plus appa-
rent : conscience signifie d’abord mémoire. La mémoire
peut manquer d’ampleur ; elle peut n’embrasser qu’une
faible partie du passé ; elle ne peut retenir que ce qui
vient d’arriver ; mais la mémoire est là, ou bien alors la
conscience n’y est pas. Une conscience qui ne conserverait
rien de son passé, qui s’oublierait sans cesse elle-même,
périrait et renaîtrait à chaque instant : comment définir
autrement l’inconscience?
Mais toute conscience est anticipation de l’avenir.
Considérez la direction de votre esprit à n’importe quel
moment : vous trouverez qu’il s’occupe de ce qui est, mais
en vue surtout de ce qui va être. L’attention est une attente,
et il n’y a pas de conscience sans une certaine attention
à la vie. L’avenir est là; il nous appelle, ou plutôt il nous tire
à lui : cette traction ininterrompue, qui nous fait avancer sur
la route du temps, est cause aussi que nous agissons conti-
nuellement. Toute action est un empiètement sur l’avenir.
Henri
Bergson
Extrait de
La Conscience et la Vie
,
conférence prononcée à l’université
de Birmingham le 29 mai 1911.
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