Jean-Luc
Nancy
,
le
dessin
ou les
manières
de la
main pensante
Ci-dessus :
Maurits Cornelis Escher.
Mains dessinant.
1948, lithographie, 28 x 33 cm.
Ci-contre :
Léonard de Vinci.
Autoportrait.
1512, sanguine, 33 x 21 cm. Turin, Bibliothèque nationale.
>
Pascal Amel
|
Le dessin est une pratique commune aux
artistes peintres, aux sculpteurs, aux architectes,
aux designers, aux graphistes, etc. Quelles réflexions
suscitent en vous cette spécificité?
Jean-LucNancy
|
C’est une spécificité de la non-spécificité,
en somme, car si vous mentionnez une série de disci-
plines ou de pratiques, on peut aussi bien en ajouter
d’autres qui paraissent plus éloignées. La musique,
la danse, et la littérature même, ainsi que le cinéma
ou la photo, ne peuvent pas être dits exempts de
dessin. Sans doute, ce n’est pas toujours le dessin
tracé sur un support avec une pointe traçante. Mais
il y a toujours quelque chose comme le tracé d’une
ligne, quelque chose d’une délinéation. Celle-ci
accomplit un partage de l’espace et ce partage ouvre
les lieux, distingue les formes, les mouvements,
tout en les conduisant tous – formes, mouvements,
espaces, mais aussi temps, intensités – vers un point
de fuite situé, comme son nom l’indique, à l’infini.
En réalité, il en va du dessin comme de toute autre
caractéristique ou propriété des pratiques artis-
tiques – la couleur ou bien le timbre, la prise de vue ou
bien le volume, etc. : toutes sont à la fois des données
singulières, séparées des autres, et des caractères
qui se propagent de pratique en pratique. Il y a des
sonorités dans la peinture, du dessin dans la danse,
de la sculpture dans le dessin, etc. Tous les arts, en
fait, se touchent et sont en contagion, si l’on peut dire,
en même temps qu’ils sont strictement hétérogènes.
C’est un caractère général du sensible.
ENTRETIEN AVEC PASCAL AMEL