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Expositions
Jheronimus Bosch. Visions de génie
Musée Noordbrabants,
‘s-Hertogenbosch (Bois-le-Duc), Pays-Bas
Du 13 février au 8 mai 2016
Par Emmanuel Daydé
dans lemiroir des âmes
simples et anéanties
JérômeBosch
Hormis le fait qu’il ait vécu toute sa vie à ‘s-Hertogenbosch (Bois-le-Duc) aux Pays-
Bas, on ne sait presque rien de Jérôme Bosch. Aussi la tenue dans sa ville natale, à
l’occasion du 500
e
anniversaire de sa mort, d’une rétrospective en 20 peintures – sur
les 30 existantes et dont 12 ont été spécialement restaurées– et 9 dessins du plus
mystérieux desmaîtres flamands, conjuguée à un décryptage à la loupe du
Jardin des
délices
publié aux éditions Hazan, constitue-t-elle une sorte de petit miracle. Quand
le loup sort du bois, l’enfer des orages et des oranges de Bosch promet le paradis.
« Quand l’image de l’individu s’est-elle
introduite dans la peinture?», se demande
le théoricien Tzvetan Todorov. Mille ans
après la floraison du portrait romain,
affirme-t-il, le monde visible a retrouvé
en Europe un nouvel épanouissement. En
introduisant le monde des individus dans
l’art, la peinture des Flamands du XV
e
siècle, ce «printemps de la Renaissance»
selon l’historien Millard Meiss, traduit la
nouvelle révolution opérée dans les esprits.
Pour Todorov, Jan Van Eyck, en soumet-
tant les êtres à l’espace qui les contient, a
achevé l’humanisation intégrale du monde
commencée par son compatriote Robert
Campin. Le Brugeois amène le spectateur
à dépasser toute vision pour se figer devant
lemonde devenu image. «Van Eyck ne peint
pas le monde, précise Todorov, il peint avec
lui». Doué d’un génie nonmoindre que celui
de Van Eyck, Rogier van der Weyden, son
héritier direct, refuse pourtant de se sou-
mettre à l’idée que le peintre représente
ce qu’il voit. Comme le dit Panofsky, Rogier
«subordonne le naturalisme de détail à son
dessein surnaturaliste ». C’est ce même
surnaturalisme, mais comme porté à ébul-
lition dans des visions de cauchemar, que
Jérôme Bosch exalte à la fin du XV
e
siècle
et au début du XVI
e
. Son monde de rêves,
bouillonnant et bourdonnant d’apparitions
et d’hallucinations, a beau s’ancrer dans le
réel et continuer d’emprunter le vocabulaire
du réalisme, il nie cette fois-ci toute valeur
à l’individu pour noyer la race humaine dans
des déluges indifférenciés et des tortures
collectives. Paraissant vouloir stopper le
printemps de la Renaissance pour en reve-
nir à un automne du Moyen Âge, Bosch, en
humanisant l’enfer et en animant la pein-
ture d’unmouvement de vers grouillants, ne
se fige plus devant lemonde devenu image :
il bouscule au contraire ce monde dans les
affres et les chaudrons de son temps pour
en extraire une image d’une indicible huma-
nité. Frère José de Sigüenza disait que si
les autres peintres représentaient l’homme
comme il était, «vu du dehors», Bosch, lui,
était le seul à oser le dépeindre tel qu’il pou-
vait être, «dedans, à l’intérieur».
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