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Saint Louis. 800e anniversaire
Conciergerie, Paris
Du 8 octobre 2014 au 11 janvier 2015
et d’abbayes, la soignant en agrandissant l’Hôtel-Dieu et en créant
l’hôpital des Quinze-Vingts, la raisonnant en soutenant l’Université
contre la Cathédrale, le saint roi pose la pierre définitive de sa
Jérusalem terrestre au cœur de Paris, en bâtissant la châsse de
verre et de vitraux aveuglants de la Sainte-Chapelle, destinée à
accueillir la précieuse couronne d’épines du Christ. Son exemple
brûlant inspire un art de cour inédit, en forme pourrait-on dire
d’ascétisme irradiant, où la recherche d’une harmonie rationnelle
est sous-tendue par un feu intérieur impétueux. Alors même que
Thomas d’Aquin bouleverse philosophie et théologie en mariant la
raison d’Aristote avec la foi chrétienne, la possibilité de l’individu
émerge d’un collectif indifférencié. La réalité concrète envahit ainsi
la représentation des visages dans une pathétique descente de
croix en ivoire et, si l’étude d’après nature paraît peu probable,
l’architecte Villard de Honnecourt prétend néanmoins dans ses
carnets avoir « contrefait au vif » le dessin d’un lion. Quant aux
Vierges à l’Enfant pleines de grâce, ployées et souriantes comme
des Koraigrecques, qui surgissent à la fin du règne, elles semblent
tournoyer dans l’espace, en une danse de vie presque frénétique.
«Sapience est un très précieux joyau», répétait Saint Louis. Mais la
sérénité polyphonique du gothique rayonnant et de ses révolutions
esthétiques paraît naître à même le corps souffrant du roi.
Emmanuel Daydé
Notre Occident laïc n’est guère enclin à la sainteté. Après
l’amour saint-sulpicien du XIXe siècle, rien n’a plus fait
pour le désamour de ce grand roi de France au XXe siècle
que cette épithète de saint qu’on lui a accordée, vingt-
sept ans seulement après sa mort. Aujourd’hui enfin,
Saint Louis demeure, dans une exposition rayonnante
qui fera date.
Comment peut-on encore être qualifié de «roi des rois terrestres»
quand on soutient l’Inquisition, qu’on ne jure que par la croisade
et qu’on promet d’empêcher les juifs « d’infecter la terre de leur
venin » ? Comme le dit l’historien Jacques le Goff, « Saint Louis »
existe-t-il ? Au terme des stupéfiantes beautés révélées par
l’exposition de la Conciergerie, au sein même de l’ancien palais
royal de la Cité, force est de reconnaître qu’il existe bel et bien un
«siècle de Saint Louis», aussi subtil, intelligent et éblouissant que
celui de Périclès ou de Louis XIV. Assumant une autorité inédite,
Louis IX, anticipant sur le Roi-Soleil, est un roi rayonnant, à l’image
de cette phase du gothique qui étend le Francigenum Opus, c’est-
à-dire l’ Œuvre française, à toute l’Europe du XIIIe siècle (et même
jusqu’à Chypre) : un nouveau temps des cathédrales, qui marie, de
manière quasi miraculeuse, la force à la légèreté. La personnalité
christique du roi est telle qu’il réussit à unifier le royaume et à
faire de Paris la ville la plus peuplée et la plus pensante de toute
la chrétienté. Enluminant la France de manuscrits somptueux
(comme la Bible dite «de Maciejowski», que collectionnera encore
au XVIIe siècle le shah de Perse Abbas Ier ) tout autant que d’églises
Saint Louis
. Vers 1305-1310, Normandie ou Île-de-France, pierre, 157 x 44 x 36 cm. Église Saint-Pierre, Mainneville.
Bible de Maciejowski, feuillet.
Vers 1245, parchemin. Bibliothèque nationale de France, Paris.