Expositions
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L’art peut-il encore offrir un espace d’expression à
la religion, ou du moins à la spiritualité, aujourd’hui ?
L’initiative portée par le Jameel Prize semble propo-
ser quelques pistes de réponse à cette question qui,
loin d’être marginale ou désuète, semble éclairer le
sens possible des arts visuels au XXI
e
siècle.
Ce prix instauré il y a deux ans sous l’égide presti-
gieuse du Victoria & Albert Museumpeut surprendre,
notamment dans le choix de sa terminologie qui
emploie explicitement une référence à l’islam dans
un contexte où l’art semble s’être détaché irréver-
siblement de la tutelle du religieux et surtout, dans
un contexte post-11 septembre ; l’islam est en effet
davantage invoqué comme un repoussoir effrayant
que comme une source d’inspiration positive suscep-
tible de rendre sensible un rapport apaisé au monde.
Pourtant, cet acte volontariste s’inscrit dans une
longue tradition anglo-saxonne, et au-delà euro-
péenne, remontant au XIX
e
siècle, que l’on pouvait
qualifier alors d’orientaliste. En pleine révolution
industrielle, de nombreux critiques invitaient les
artistes à se pencher sur les arts ornementaux isla-
miques afin de vivifier une création dont le souffle
s’était tari. Un peu partout sur le vieux continent et
notamment dans ses plus grandes capitales, à Paris,
Londres et Vienne, de nouveaux musées, dont le V&A
(alors appelé South KensingtonMuseum) sanctifiaient
moins le beau dans sa pureté, qu’ils ne revendiquaient
une esthétique associant beauté et utilité, et se tour-
naient vers un Orient perçu comme paradigme de cet
art nouveau, avant de devenir moderne.
Dans cette lignée, pour sa deuxième édition, le
Jameel Prize franchit cette année la Manche en pré-
sentant à Paris des artistes dont le dénominateur
commun est d’exprimer une parenté assumée avec
les cultures d’Islam. La présence parmi eux d’une
majorité de femmes et de personnalités aux origines
géographiques diverses (Iran, Pakistan, Égypte,
Algérie) rappelle la complexité de ce monde musul-
man que l’on a souvent tendance, vu de France, à
réduire à l’Afrique du Nord.
À gauche : Vue du parvis de l’Institut du monde arabe
avec le Mobile Art de Zaha Hadid.
À droite : Rachid Koraïchi.
Les Maîtres invisibles.
2008, motifs appliqués en coton sur coton.
Autorisation de la October Gallery.
pAR VéRoniquE RiEFFEL
Le
Jameel Prize
ou les
arts contemporains
d’islam
au-delà du
miroir