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N
é en 1943, Marc Devade meurt
quarante ans plus tard en 1983. Dès
avant 68, une insuffisance rénale
chronique le fera vivre au rythme des greffes
et des dialyses, ses jours seront comptés.
Membre du comité de rédaction de la revue
Tel Quel
, il est d’abord poète puis se tourne
vers la peinture grâce à la fréquentation
des lettrés chinois des siècles passés, pour
lesquels poésie, calligraphie et peinture
participent d’un même souffle, d’une même
inspiration vitale.
Pour reprendre les propos de Baudelaire au
sujet de Corot, on pourrait dire que Devade
« ne sait pas peindre »
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,
il fait
de la peinture,
c’est-à-dire qu’il fait en sorte qu’elle advienne.
Shitao dit d’ailleurs : « N’importe qui peut
faire de la peinture, mais nul ne possède
l’Unique Trait de Pinceau, car l’essentiel de
la peinture réside dans la pensée, et il faut
d’abord que la pensée étreigne l’Un pour que
le cœur puisse créer et se trouver dans l’allé-
gresse ; alors, dans ces conditions, la peinture
pourra pénétrer l’essence des choses jusqu’à
l’impondérable ».
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« Nul ne possède », dit
Shitao, la peinture n’est pas une technique,
un savoir, un métier qu’il s’agirait de maîtriser.
C’est une affaire de pensée, une
causa men-
tale
dit Léonard de Vinci.
C’est donc par la pensée que Devade vient
à la peinture et que celle-ci vient à lui.
Devade est autodidacte,
Tel Quel
lui tient
lieu d’université. Des années durant, avec son
ami Louis Cane, il ne se passe guère d’après-
midi sans qu’il ne fréquente les bureaux de
la revue, rue Jacob. C’est là un laboratoire
intellectuel sans égal : Philippe Sollers, Julia
Kristeva, Marcelin Pleynet, Rolland Barthes
et tant d’autres se retrouvent pour des
débats quotidiens plus ou moins formels
à propos de la littérature, de l’art, de la
psychanalyse ou de la politique. À la même
époque, entre 69 et 72 durant les 2 ou 3
années que durera l’aventure du groupe
Supports/Surfaces, Devade trouvera aussi,
principalement aux côtés de Louis Cane, de
Vincent Bioulès et de Daniel Dezeuze, un
autre laboratoire où expérimenter sa pra-
tique picturale. Mais singulièrement, alors
que la majorité de ses camarades aspirent
à briser le tableau, à en finir avec le châs-
sis, Devade s’y tient d’une manière presque
conservatrice. Certes, comme beaucoup
d’artistes de sa génération, il aspire à rompre
avec l’École de Paris et les Nouveaux
Réalistes, mais lui le fait en regardant les
minimalistes d’outre-Atlantique, encore peu
connus en France et que Marcelin Pleynet
est alors un des rares à défendre.
« JE PLEUS SUR LA TOILE »
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En couverture : Marc Devade à la Galerie Daniel Templon, 1974.
© Catherine Grynspan.