93
Artistes
Jean-CharlesBlais
L’affirmationd’une syntaxe
entre figure et abstraction
Texte et questions par José Alvarez
À l’oréedes années 1980, et dès sapremière expositionà la
galerie YvonLambert (1982), l’œuvrede Jean-CharlesBlais
s’imposa d’emblée par sa pertinence, sa nécessité vitale,
sa forme, voire son style. Spontanément expressionniste,
son travail s’inscrivait dans cette fraternité d’idées que
l’on nomme également l’esprit du temps, auquel il est
souvent difficile de se soustraire. Même s’il ne se reven-
diquera jamais de la Figuration libre, il participa en 1981
à l’exposition « Finir en beauté », organisée par Bernard
Lamarche-Vadel. De fait, les choix opérés par l’artiste
parmi les options qui s’offraient à lui relèvent plutôt de ce
que Roland Barthes nomme
écriture
, l’opposant au
style
d’un auteur.
L’écriture
, c’est le «choix général d’un ton»
par lequel l’artiste s’individualise parce que c’est ici qu’il
«s’engage», un choix qui fixe «le rapport entre sa création
et la société». Dans ses tout premiers tableaux, Blais use
d’une syntaxe très affirmée, efficace. Il opte délibéré-
ment pour un certain type d’écriture dont la singularité
consiste en des lambeaux d’affiches superposés, offrant
une surface rugueuse aux contours aléatoires, de tailles
différentes, choisis avec soin et sur lesquels il intervient
en de grandes formes de couleurs. Les peintures dévoilent
des personnages pour la plupart issus dumilieu ouvrier ou
rural, des paysages métaphoriques, cheminées d’usines,
lourdes fumées, nuages menaçants… l’important pour
Blais étant de faire entendre, de rendre visibles les forces
invisibles. Là réside son apport le plus personnel et qu’il
n’aura de cesse de creuser jusque dans les dernières
œuvres de 2012, où l’abstraction l’emporte délibérément
sur le style. Dès lors, la manière propre à Blais consiste à
distendre le modèle afin de mieux l’isoler de la réalité, au
risque de s’éloigner du sujet.
Proches de la pochade, peintures et dessins conservent
toujours quelque chose de leur « statut d’étude »,
surgis de la nébuleuse mentale qui leur donne la
liberté de l’œuvre non achevée. Aussi les plus aboutis
induisent-ils le sentiment d’une chose non définitive,
non figée, intégrant sa propre genèse. À l’instar de
maints artistes, Blais s’élève contre l’idée qu’une
œuvre constitue un achèvement. Fondamental, le
graphisme occupe également toute sa place dans le
travail de l’artiste.
Ainsi, Jean-Charles Blais ne se lasse pas de se confor-
mer à la nécessité de décliner figure et abstraction, des
premières œuvres aux dernières.
JoséAlvarez
|
J’ai le souvenir d’une conversation,
en 2002, où vous échangiez avec le photo-
graphe Helmut Newton vos points de vue
sur le statut de l’artiste et où vous évoquiez
un possible retrait de la scène artistique de
votre part. Qu’en était-il exactement ?
Jean-CharlesBlais
|
C’était une drôle de conversa-
tion, dont je me souviens moi aussi. Nous
évoquions la question du statut de l’artiste
et de la diffusion de l’art en des termes
communs, bien que nos situations fussent
contradictoires. Ma position n’était pas tant
celle d’un possible retrait de la scène artis-
tique que le désir de soustraire ma produc-
tion d’alors du champ exclusif du monde
de l’art ordinairement obsédé par la féti-
chisation de l’objet, l’invention artificielle
de la rareté et l’instrumentalisation des
images afin de justifier leur valeur finan-
cière, garante de la pertinence d’un goût.
À cette période, je travaillais à la réali-
sation d’objets graphiques, petits films
numériques dont la particularité est d’être
infiniment duplicables sans subir aucune
altération. J’avais imaginé de les diffuser
comme on le fait pour la musique ou la lit-
térature, en copies non limitées et au prix
ordinaire d’un film ou d’un disque, dans les
circuits de la grande distribution.
Je crois que Helmut Newton était interlo-
qué par l’énergie que je dépensais à tenter
d’échapper au «commerce de l’art » alors
que son parcours de photographe lui
valait une notoriété considérable dans la
presse et le milieu de la mode, mais il avait
quelque peu entravé l’introduction de ses
photographies dans le monde de l’art, sou-
levant des questions relatives à la fonction
des images produites pour les magazines
et dont il percevait le changement de statut
lorsque celles-ci étaient exposées sur les
cimaises des musées et des galeries d’art.
1...,9,10,11,12,13,14,15,16,17,18 20,21,22,23,24