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numéro 27
janvier 2009
Nul n’a mieux célébré le génie de Parme qu’Antonio Allegri, dit Corrège, qui y passa sa vie.
Afin de lui rendre hommage, la cité émilienne lui consacre une rétrospective où, pour
la première fois, le spectateur est invité à monter sur des échafaudages pour admirer la
formidable suavité de ses fresques et de ses assomptions.
On renonce rarement à brûler ce qu’on a adoré. La fin
du XVIII
e
siècle et le début du XIX
e
ont idolâtré Corrège.
Au-delà des artistes eux-mêmes, de Titien à Boucher,
les princes se le sont littéralement arraché. Frédéric
Gonzague, marquis de Mantoue qui devait être élevé
par l’empereur à la dignité de duc, est de passage à
Parme en 1529, en compagnie de Charles Quint, qui
compte alors Titien dans sa suite. Impressionné par
les dernières réalisations de Corrège, le futur duc
commande l’année suivante à cet artiste “provincial”
les
Amours de Jupiter
, une série de quatre tableaux
mythologiques, en guise de cadeau à sa Majesté. Car
qu’offrir à l’empereur qui a tout, sinon ce qu’il n’a pas,
des Corrège justement ?
Ce succès foudroyant, “indécent” pour un peintre des
confins de l’Émilie-Romagne, ne pouvait être que
vilipendé aux siècles suivants. En prenant prétexte
de ses peut-être trop nombreuses
Vierges à l’enfant,
on le traite aujourd’hui de mièvre et de mou, ou pire :
de “joli”. Comme si, effectivement, on n’y voyait plus
la même chose. Stendhal, peut-être le plus grand
amoureux du peintre, voyait, lui, des Corrège partout.
Ainsi qu’il l’écrit à Balzac à propos de
La Chartreuse
de Parme
: “Tout le personnage de la Sanseverina est
copié de Corrège (c’est-à-dire produit sur mon âme le
même effet que Corrège)”. Et même si notre brûlant
écrivain n’a jamais écrit cette
Vie de Corrège
– qu’il avait
pourtant conseillé d’acquérir à ses lecteurs ! –, il avait
parfaitement compris, en cet âge du madrigal, l’in-
croyable polyphonie de l’
allegro con brio
corrégien : “De
vingt personnes que les figures de Corrège enchantent,
il n’y en a peut-être pas une qui les voie, et surtout
qui s’en souvienne de la même manière. C’est de la
musique…” Et la musique, comme chacun sait, tout
le monde ne l’entend pas, ou tout du moins, pas de la
même oreille. Alors trop musical et vaporeux pour le
froid et industriel XX
e
siècle, Corrège? Ou, au contraire,
artiste visionnaire et impalpable pour notre temps du
virtuel ? Ce virtuose du rythme tourbillonnant et de la
couleur indécise est une sorte de Debussy de la plaine
du Pô, dont il exprime les moiteurs, les exhalaisons
trempées, les lumières mouillées et les cieux chargés
de nuages, de soleil et de pluie. Un peintre de la lumière
en fait, un Monet du corps-paysage avant la lettre. Un
génie indispensable à tout le moins, véritable chaînon
manquant entre le XVI
e
et le XVII
e
siècle.
Aux trois maîtres du classicisme de la première
Renaissance, à ce trio exceptionnel formé par Léonard,
Raphaël et Michel-Ange, on est donc en droit d’associer
Corrège, qui conclut ce classicisme tout en le troublant
et en annonçant le baroque à venir. Véritable quatrième
mousquetaire de cet apogée de l’art italien, Corrège
n’est pas un excentrique Lombard de plus, comme en a
beaucoup donné la vallée du Pô, entre Dossi et Lotto.
Par Emmanuel Daydé
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Exposition
Le plaisir et la pitié,
ou l’art diaphane de Corrège
Vision de saint Jean l’Évangéliste à Patmos.
1520-1522, fresque.
Église San Giovanni Evangelista, Parme.
Correggio.
Parma, Galleria Nazionale,
Camera della Badessa in San Paolo,
Monastero di San Giovanni Evangelista, Cattedrale.
Du 20 septembre 2008 au 25 janvier 2009.
Commissaire : Lucia Fornari Schianchi
Éclairagiste : Vittorio Storaro
ACTU
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