Art Absolument 77 - apercu - page 4

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ACTUALITÉS
RANCILLAC,
LA LEÇON DE PEINTURE
en dénivelés.Dans ce Brasilía miniature,
sa grande peinture d’histoire prend
toute sa dimension. La commissaire
propose une déambulation chrono-
logique qui commence par les séries
noires des premiers travaux à base de
tissus comme l’extraordinaire pièce
Les Visiteurs
et leurs pendants blancs,
montrés en leur temps aux côtés de
Ryman et Twombly, impressionnants
monochromes grattés, striés où se
dessinent des ombres fantomatiques
titrées
Fantômas
. On passe ensuite de
façon provocante au tout multicolore
avec les premières toiles de
Comics
qui font la part belle à des Mickeys
difformes et de grands méchants loups
qui ne sortent plus de la chambre
de la grand-mère mais de celle de
Van Gogh ! Ici, le style invoque plutôt
Cobra et la polychromie permet des
contrastes stylistiques entre dessin
lâché, larges gestes et fonds en aplats.
L’objectif de l’œuvre est narratif et
l’artiste utilise des cloisonnages, des
bulles de BD, un vocabulaire populaire
pour donner à voir nos «mythologies
quotidiennes ». Après cette période
pop marquée autant par la politique
que par l’érotisme, on assiste à une
unique
jam session
aux fortes tonalités
pigmentaires avec les grands jazzmen
bariolés qui ont fait la réputation du
peintre dans les années 1970 et des
interprétations en peinture de Billie
Holiday, Ike Turner, Diana Rosse, Janis
Joplin face à la section rythmique de
Miles Davis,dédoublée par l’accrochage
quand la toile se reflète magnifiquement
en image virtuelle.Alors éclate le grand
morceau de peinture de l’exposition :
la foudroyante série en hommage à la
passionaria allemande de la Bande à
Bader, Ulrike Meinhof, où se succèdent
les images accélérées d’une voiture
de course. Sous l’effet de la vitesse, le
bolide devient invisible, se transforme
en abstractions colorées entrecou-
On s’arrête trop souvent au personnage
Bernard Rancillac, héros de l’Atelier popu-
laire deMai 68, artiste provocateur et cynique
souriant, initiateur de la Figuration narrative
avec son copain Hervé Télémaque. On ne se
penche pas toujours sur l’essentiel, à savoir
sa peinture. Si on juge qu’un artiste est grand
au fait qu’il n’a pas eu qu’une seule idée, une
unique période, Rancillac est alors tout sim-
plement un génie! C’est ce que démontre avec
brio la passionnante rétrospective montée à
l’Espace Niemeyer par Josette Rasle, conser-
vatrice du musée de la Poste.
L’exposition Rancillac démarre avant
même d’avoir passé l’entrée, quand on
arrive face à la grande coupole blanche,
sur la terrasse du siège historique du
Parti communiste français.Quelle meil-
leure idée que d’exposer Rancillac dans
ce lieu de pouvoir marqué par un cer-
tain rétrofuturisme tout en courbes et
pées de portraits d’un gardien dans le
couloir d’une prison. La rapidité de la
machine confrontée à la pesanteur du
maton offre diverses interprétations
métaphoriques : le bruit face au silence,
l’oubli, la solitude et la lutte armée,
l’enfermement, le suicide, le goût du
risque, un vaste opéra sur le vide et
l’engagement. Tout cela provoque un
drôle de malaise que seule la beauté
de la peinture arrive à apaiser. D’autres
pièces politiques prennent aussi toute
leur ampleur comme le portrait de
Malcolm X ou celui d’Allen Ginsberg, la
toile géante sur la révolution populaire
chinoise ou l’hypnotique tableau où se
lit «Vive la Palestine » en calligraphie
arabe. Ce grand cours artistique sur
l’histoire d’aujourd’hui impose tout
le talent polymorphe de Rancillac, fait
de constats, de vérités, d’espoirs, de
remises en question, d’humour, de pré-
monitions, et offre une sacrée leçon de
vie en peinture.
Renaud Faroux
Rancillac. Rétrospective
. Espace Niemeyer, Paris
(organisée par le musée de la Poste). Du 21 février au 7 juin 2017
Et aussi :
Bernard Rancillac. Les années pop
. Musée de l’Abbaye
Sainte-Croix, Les Sables-d’Olonne. Du 18 juin au 24 septembre 2017
Belfast
. 1977, acrylique sur toile, 146 x 114 cm.
Collection Martine et Michel Brossard, Paris.
Fantomas saute dans le vide.
1962, huile, faserit sur toile, collage de drap, 162 x 130 cm.
Collection de l’artiste, Paris.
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