Art Absolument 77 - apercu - page 11

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Dans votre
Leçon inaugurale au Collège de
France
(2011), vous dîtes que les premiers
paysagistes sont les peintres. Ces liens
entre art, paysage et jardin sont-il encore
de même nature?
Gilles Clément |
Les artistes sont ceux par qui se
construit l’histoire humaine de la culture. Ils
voient ce qu’on n’avait pas vu, ils fabriquent
ce qu’on n’avait pas prévu. On appelle ainsi
« peintres paysagistes » ceux qui se sont
intéressés à ce qu’il y avait sous leur regard,
avant que «paysagiste» devienne unmétier
dans les années 1940 (ou plutôt « archi-
tecte» chez les Anglo-Saxons). Mais dans
certaines cultures, le terme « paysage »
n’existe pas – en Indonésie, à Bali on parle
de
permanangan
, qui renvoie au point de
vue, pas au paysage. Le paysage se réfère
donc à ce qui est sous le regard et tous les
autres sens, il est lié à une vision subjective
et à une culture. Mais le jardin, c’est autre
chose, une construction, un rêve, un monde
clos mais dont les clôtures sont illusoires
car les oiseaux et les nuages se moquent
pas mal du cadastre.
Si on fait un déroulé presque canonique –
et en raccourci – de l’histoire du jardin,
on trouve l’
hortus conclusus
, soit l’enclos
qui protège du monde extérieur au Moyen
Âge, puis la grande ouverture de la
Renaissance. Le « jardin planétaire» dont
vous faites le constat aujourd’hui est-il
une forme de retour à l’
hortus conclusus
à une autre échelle, ou d’autres notions
entrent-elles en jeu?
La prise de conscience de notre situation
sur la planète amène de fait de nouvelles
« Le jardin enmouvement », qui réhabilite la liberté des friches, « le jardin planétaire», où la Terre
entière est vue comme un enclos autonome, fragile, à protéger et non détruire, le
Manifeste du
tiers paysage
pour les territoires délaissés…Avec ses concepts novateurs, Gilles Clément donne à
penser et à sentir une vision du monde humaniste, croisant l’art, l’imaginaire, le savoir empirique
et les connaissances scientifiques. Né à la nature dans un jardin de la Creuse devenu le sien, à
la fois paysagiste, jardinier, entomologiste, botaniste, ingénieur agronome, écrivain et artiste,
sillonnant la planète pour en observer les richesses et les mécanismes, il transmet à son tour le
goût de cultiver et de respecter notre environnement. Ainsi cet été, l’érection de sa tour à eau sur
la ligne de partage des eaux dans le cadre du
Parcours artistique des Monts d’Ardèche
.
PROPOS RECUEILLIS PAR PASCALE LISMONDE ET TOM LAURENT
Vue de l’exposition
Toujours la vie invente
,
Biennale de Melle, 2015.
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