EXPOSER L’ART DES CARAÏBES /
CURATING CARIBBEAN ART
56
SL
|
L’espace caribéen constitue-t-il un obstacle pour
un commissaire d’exposition?
CC
|
Je pense que nous avons besoin d’opérer un
changement de perspective et de comprendre qu’il
n’est pas nécessaire pour organiser une exposition
que celle-ci soit hébergée par une institution recon-
nue, à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire, ou que
les œuvres soient présentées en fonction d’un thème
établi à travers l’intégration d’œuvres d’art dans des
trames stratégiques. Parfois, pour moi, l’essentiel
est d’expérimenter le travail actuel sur des blogs,
Google, Facebook et Flickr, qui sont tous devenus
des interfaces viables où un dialogue critique est
généré chaque jour sans intermédiaire et sous des
formes très diverses. Par exemple, autrefois, vous
étiez tributaires des rares revues ou catalogues
rendant compte des manifestations se déroulant
aux États-Unis et en Europe pour avoir une idée de
ce qui se passait aux différents endroits de l’espace
caribéen (et en disant ceci, je pense particulièrement
à New York, Londres et Amsterdam ou d’autres villes
dans lesquelles les artistes vivent et travaillent).
L’information provenait toujours de nombreux inter-
médiaires et était filtrée par le regard d’institutions
extérieures. Elle n’était donc réellement destinée ni
à une audience caribéenne ni à susciter un dialogue
dans les Caraïbes. Mais maintenant les règles du jeu
ne sont plus les mêmes… Certes, de nombreuses
institutions locales restent encore fortement sou-
mises aux directives internes et nationales ou au
système des sous divisions linguistiques. Ce sys-
tème dont on a hérité apparaît aujourd’hui désuet.
On a assisté à de nombreux changements grâce à
l’accélération du flux d’informations due à internet.
J’ai écrit un article sur ce changement de pers-
pective : voir les Caraïbes comme un lieu crucial
modelé par ces discussions sur internet et pétri
d’une pratique plasticienne variée et éparpillée, et
non désagrégée, permet de franchir ainsi les bar-
rières bien connues que sont le manque de fonds, les
priorités dans l’attribution des crédits, le développe-
ment inégal de certaines institutions par rapport à
d’autres, la difficulté que l’on éprouve à circuler en
raison soit de la géographie, soit de la pluralité des
langues. Appréhendé ainsi, il ne subsiste en vérité
que très peu d’obstacles à l’élaboration d’un dialogue
et à son rayonnement.
SL
|
Quels sont les critères exigés par le commissaire
d’exposition concernant le choix des artisteset celui
des œuvres ?
CC
|
Il est difficile de répondre à cette question, car elle
implique une sorte de jugement, comme si les socié-
tés organisatrices d’exposition devaient encore se
comporter comme les Salons le faisaient à l’époque :
une évaluation archaïque des objets, des individus et
des actions. Pour moi, tout part des œuvres et des
idées qu’elles contiennent. Je commence par là – en
extraire le sens et essayer de rendre visibles les dia-
logues et les débats. Je n’ai pas d’idée préconçue. Je
ne fais qu’observer les œuvres et discuter avec les
artistes, et à ce moment je ressens cette envie de
rendre compte de ces idées, de les partager ou de les
rendre publiques, pour voir ce qu’elles provoquent.
Dans une certaine mesure, j’ai lutté pour éviter les
écueils culturels et habitudes esthétiques nationales.
J’observe uniquement ce que font les artistes en tant
qu’individus. Mettant de côté toute pression résultant
d’un parti pris, je peux épouser les idées de l’artiste.
Je deviens un homme qui parle à d’autres hommes
des Caraïbes. Chacun est libre d’y prendre part et d’y
ajouter sa touche… Ce n’est pas un récit personnel
dont les frontières seraient inamovibles.
SL
|
Qu’en est-il du financement pour une exposition
telle que
Wrestling with the images
?
CC
|
Wrestling with the images
est née d’une initiative
du programme pour l’art de la Banque mondiale
nommée
About Change
. Elle s’intégrait dans une
étude sur le travail dans les Amériques et était
hébergée par le OAS’s Art Museum of the Americas.
Cela ne concerne bien sûr que les États signa-
taires. Tatiana Flores et moi-même prenions part
au débat et avons mis en place le volet caribéen,
qui est finalement devenu une exposition à part
entière. L’exposition dont il était question en pre-
mier lieu s’est déroulée du 21 janvier au 10 mars
2011. Comme de nombreux pays n’appartenaient pas
Marlon Griffith.
Série
Powder Box Girls
(détail).
2009, épreuve numérique, 121 x 80 cm.