ÉDITORIAL
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La révolution esthétique du début du
XX
e
siècle a été
la création de la modernité. Celle-ci a principale-
ment émergé durant l’entre-deux-guerres dans les
villes-mondes européennes. Le brassage d’artistes
venus d’horizons différents – parfois lointains –, les
confrontations entre les points de vue radicaux des
mouvements de pensée et des avant-gardes esthé-
tiques, les liens établis entre les intellectuels et les
artistes qui circulaient d’une capitale européenne
à l’autre (Paris, Berlin, Saint-Pétersbourg…), le
cosmopolitisme et la diversité en actes, ainsi que
la résonance et l’émulation que nombre d’œuvres
novatrices ont pu produire sur les sensibilités
diverses de ceux qui avaient la possibilité de les voir
ont, pour ainsi dire, façonné la modernité.
La révolution esthétique du
XXI
e
siècle est l’élargisse-
ment du regard à la planète. L’internet, la circulation
des hommes et des œuvres, la démocratisation des
transports, le dynamisme spectaculaire des écono-
mies dites émergentes, la volonté de quelques diri-
geants politiques dans le sens noble du terme, la
lucidité des sociétés civiles pourvoyeuses de belles
valeurs, l’engagement des hommes et des femmes
de progrès de ces mêmes pays (qui, comme le prouve
la brûlante actualité, en sont la « pointe démocra-
tique»), le rôle crucial – une fois de plus – des villes-
mondes et de leurs diasporas, le désir de justice, de
liberté, de partage des savoirs et des cultures qui
constitue sans doute le noyau dur de l’utopie contem-
poraine, en constituent les principales causes.
Mondialisation économique oblige depuis le début
du
XXI
e
siècle – pour ce qui concerne l’art contempo-
rain –, nous assistons au phénomène sans précédent
de la reconnaissance de scènes culturelles issues
des nations les plus diverses. Après la Chine, l’Inde,
l’Iran, simultanément à l’Indonésie, au Mexique, au
Brésil, à Israël, à la Turquie et à l’ancienne Europe
de l’Est, c’est au tour des artistes arabes (ou plus
exactement de leurs œuvres) d’apparaître enfin aux
yeux du monde de l’art.
Nous précisons – enfin – parce que, bien entendu, les
arts plastiques du monde arabe n’ont pas attendu les
projecteurs de l’actualité pour exister en tant que tels.
D’où le fait que, à
Art Absolument
, nous sommes
particulièrement choqués par les propos démago-
giques de certains politiciens hommes et femmes, de
certains journalistes et de soi-disant intellectuels de
nombre de grands médias populaires, qui, à chaque
élection majeure se profilant en France, nous res-
sassent à l’envi leur islamophobie.
Nous sommes outrés par leurs propos car, même
si nous sommes les premiers à combattre, à notre
manière, l’islamisme radical qui, dans le monde
arabe, demeure une plaie ouverte, réduire la civili-
sation incontournable de l’Islam, et plus encore les
musulmans du monde entier, réduire les musulmans
d’Europe et de France à quelques traits bassement
caricaturaux tient – calcul électoral ou pas, popu-
lisme ou pas – d’une régression des valeurs de
respect de soi et d’autrui, de tolérance et de liberté
qui constituent le socle même de la République
française. Nous sommes outrés par cet ostracisme
obsessionnel qui dénie le travail effectué ces der-
nières années par nombre d’hommes et de femmes
de bonne volonté, y compris parmi les responsables
politiques et institutionnels de la France.
« L’autre » – la découverte de l’altérité – est ce qui
nous révèle à nous-même, car nous sommes bien
entendu en partie étrangers à nous-même. En
constante révélation de notre part opaque.
L’autre nous révèle d’autant plus à nous-même que
nombre des artistes de la scène arabe contemporaine
sont de nationalité européenne (française, anglaise,
allemande, etc.). Et – qui sait? –, il n’est peut-être pas
exclu que ce soit l’excellence des artistes arabes ou
originaires du monde arabe, la pertinence de leurs
œuvres qui ne cesse de se constituer dans l’entre-
deux rives de l’Europe et du monde arabe, il n’est pas
exclu que ce soit cet hybride sociétal – ce métissage
des formes et des sensibilités – qui indispose jusqu’à
la nausée les nationalistes sectaires et les islamo-
phobes de toute obédience?
Laissons les propagandistes entre eux. Laissons-les
croire que la France qui a scandé «Zizou président»
et qui a comme personnalités préférées Rama Yade,
Rachida Dati et Yannick Noah est majoritairement
raciste. Laissons-les à leur propre aveuglement.
Quelle que soit la culture dont elles sont issues, les
intellectuels et les artistes en France savent que
l’important, ce sont les œuvres (ce qu’elles pro-
duisent comme effets durables sur le spectateur).
Ils savent que ce sont des blocs de sensation et
d’émotion, de pensée critique et de rêve utopique
pour aujourd’hui et pour demain.
Du «local absolu», comme l’écrit Gilles Deleuze.
Le titre de notre revue n’a donc rien de fortuit. L’art, à
sa manière, est un «absolu». Ou, pour le dire autre-
ment : les grandes œuvres d’art renferment une
puissance symbolique qui transcende les frontières
des civilisations et les limites individuelles de chacun
au bénéfice d’un regard universel.
Les grandes œuvres d’art nous délivrent de notre
propre cécité au profit de nouveaux points de vue.
Pascal Amel, Teddy Tibi
La
France
et la
nouvelle scène
arabe
contemporaine
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