Page 13 - Aperçu AA 40 mars/avril 2011

Hassan Musa est un artiste soudanais polymorphe qui se définit comme un « faiseur d’images » et travaille la peinture
sur de grands morceaux de tissus assemblés ; mais il est aussi calligraphe, graveur et illustrateur de livres pour
enfants. Ces compositions, à l’allure de tapisseries d’un nouveau genre, sont présentées en permanence à la galerie
Pascal Polar de Bruxelles. Visite.
PAR RENAUD FAROUX
Musa compose ses œuvres à partir d’agencements
de pièces de tissus dénichées dans les marchés
du monde, aussi bien au Kenya qu’en France, afin
de donner vie à des ouvrages baroques constitués
d’emprunts à l’histoire de l’art occidental, à la cal-
ligraphie, avec des messages, des drapeaux… et un
fort contenu sociopolitique. Il travaille sur de grandes
toiles libres, des combinaisons de patchworks eth-
nographiques cousus et peints, des assemblages de
dalmatiques brodés d’un nouveau genre...
Dans l’exposition Africa Remix au Centre Pompidou,
son Great American Nude avait fait scandale. Dans ce
portrait de Ben Laden affublé d’un corps de femme
nue sur un drapeau américain, c’est « la rencontre
fortuite » du pop art et des odalisques de François
Boucher sous l’œil du terroriste comme en pleine
dissection… Chez lui, Les Glaneuses de Courbet, les
«trois Parques du paupérisme», ouvrent leurs mains
bandées et procèdent aujourd’hui au déminage d’un
champ où pleuvent de petits piments, des poivrons
rouges et des pastèques vertes…
Sur une autre pièce imposante en forme d’immense
chasuble, un archange peint dans différentes posi-
tions apprend en lettres gothiques à mettre un
préservatif. Un autre tableau au contenu aussi bien
religieux que politique présente à nouveau Ben
Laden qui prend le café avec Jésus et les apôtres
pour une publicité à l’humour iconoclaste du nom
de «Lipton Cena». Une de ses œuvres les plus sai-
sissantes montre un grand saint Georges, cousin
de celui du Raphaël du Louvre. Il est peint dans un
drapé de la bannière américaine, prêt à combattre un
dragon imaginaire et écraser le musée de Bagdad…
Les œuvres de Musa parlent ainsi du rapport entre
l’Occident et l’Afrique d’une façon évidente ou méta-
phorique. Dans Jacob et l’ange, l’artiste reprend l’ico-
nographie du combat peint par Delacroix à l’église
Saint-Sulpice. Mais ici, les formes sont des morceaux
de tissus à l’image de la peau du monde, ourlés à la
machine à coudre. Musa «tricote» un grand numéro
10 dans le dos de Jacob et place la découpe d’un ballon
dans les pieds de l’ange noir à la cuirasse de tissu
rouge et aux ailes bariolées d’un imprimé d’Afrique de
l’Est. Les amateurs du ballon rond comprendront vite
l’allusion au «coup de boule» de Zizou ! On peut lire
aussi la révolte Sud contre Nord dans cette évocation
du jeu et de la politique… Autour du match, des cartels
de rapiéçages colorés rappellent les drapeaux Asafo
du Ghana. Cette tradition de communication grâce à
des proverbes cousus sur les toiles renvoie à la guerre
plus qu’à la gloire de la splendeur militaire.
Musa aime à citer l’écrivain Kateb Yacine répondant
à des patriotes algériens qui lui reprochaient d’écrire
en français, le langage des colons : « La langue
française est un butin de guerre. » Pour lui aussi,
la tradition culturelle européenne est globalement
une récolte prise à l’ennemi, même s’il précise :
«Être l’héritier de la tradition culturelle européenne
comporte également de grands risques, car vous
découvrez de temps en temps un squelette dans le
placard… Nous sommes pris chaque jour dans le
déluge d’images de propagande envahissant notre
environnement vital.»
À force de rapiéçages, de coutures, d’écritures et de
peintures, l’artiste nous ouvre les yeux sur toutes les
images, quelles qu’elles soient, dans le but de les
restituer au monde. Ses œuvres éblouissantes aussi
bien d’esprit que de couleurs et d’inventions décora-
tives questionnent sur l’évidence des choses que l’on
voit, ou que l’on croit voir. Elles ne possèdent pas la
beauté surannée de tapisseries imaginaires sorties
de châteaux fabuleux mais inscrivent leur fulgurante
modernité image sur image, œil pour œil, dent pour
dent… point par point!
le droit-fil
de la couture