C’est dans
L’Œuvre d’art à l’époque
de sa reproductibilité technique
,
écrit en 1936, que le philosophe
allemand Walter Benjamin déve-
loppe sa thèse sur la déperdition
contemporaine de l’aura dans
les productions artistiques qu’il
définit admirablement “comme
l’unique apparition d’un loin-
tain, si proche soit-il”. Pour lui,
a
contrario
de l’icône que l’on voit,
par exemple, dans les églises
orthodoxes, où l’emplacement
et le halo qui s’en émane sont
uniques
et toujours perçus indi-
viduellement
dans l’espérance
d’une communication mystique,
les techniques de reproduction
de masse, notamment la photo-
graphie et le cinéma, ont irrémé-
diablement modifié la sacralité
des œuvres. De qualitatives elles
sont devenues quantitatives, et ce
faisant, émancipées de leur splen-
deur contemplative qu’il estime
rétrograde : “Le recueillement
est devenu pour une bourgeoisie
dégénérée l’école du comporte-
ment asocial.” Et, dans ce même
essai, considérant la représenta-
tion esthétisée du pouvoir poli-
tique comme l’essence même du
fascisme : “Tous les efforts pour
esthétiser la politique culminent
en un seul point : ce point est la
guerre”, il condamne à la fois la
valeur cultuelle de l’œuvre (l’en-
gourdissement de l’esprit que
cette dernière provoquerait) et la
grandiloquence kitch si chère aux
egos infatués d’eux-mêmes. Puis,
sur unmode certes moins stigma-
tisant mais toujours foncièrement
moral, appelant de ses voeux un
art critique (“révolutionnaire”)
basé sur la vraie réalité et non
sur l’artifice trompeur, il s’afflige
du nouveau culte des vedettes,
“une nouvelle sélection a lieu,
une sélection devant l’appareil [de
cinéma], de laquelle la vedette et
le dictateur sortent vainqueurs”,
en dénonçant le divertissement
comme ruse du capitalisme
qui transforme les adeptes de
la culture en consommateurs
décervelés.
Mais on peut formuler plusieurs objections à cet
essai écrit dans l’urgence et le désarroi (traqué
en tant qu’intellectuel juif par le nazisme l’on sait
que Benjamin se suicidera en 1940 à Port-Bou, à
la frontière espagnole), pour tenter de faire bar-
rage au nouveau culte du
führer
et de l’idolâtrie
totémique d’une Germanie aussi archaïque que
névrotiquement fantasmée : l’Aryen conquérant
et civilisateur, Siegfried le héraut de la pureté
nordique se débarrassant de la “contamination
sémite”, la croix gammée en lieu et place de la
croix chrétienne, une architecturemonumentale
académico-pharaonique comme affirmation de
la toute-puissance, une statuaire, une peinture
et une cinématographie “utilitaires” assignées
à la propagande d’État, etc.
D’une part – hélas – révolutionnaire ou pas,
critique ou non, l’art ne peut rien contre la
barbarie, en tout cas fort peu de choses !
L’analyse lucide des tenants et des aboutis-
sants des idéologies totalitaires, les témoi-
gnages oraux ou écrits de ceux qui en ont subi
la terreur, les films documentaires détaillant la
logique criminelle des camps d’extermination
(et les armes – ou la menace des armes de
destruction massive – comme ultime rempart
des démocraties qui ne veulent PLUS JAMAIS
ÇA), sont de toute évidence plus appropriés (je
songe autant à Hannah Arendt, à Primo Levi, à
Soljenitsyne et à VarlamChalamov, qu’à Claude
Lanzmann ou à Rithy Panh dont les livres et les
films sont basés sur
la stricte vérité des faits,
et, en tant que tels, éveilleurs de conscience).
Or, l’œuvre d’art, du moins celle qui perdure et
qui interroge chacun d’entre nous, a la capacité
de représenter la complexité de l’être humain,
du moins de nous la rendre moins opaque (
cf
.
Freud et Jung) ; elle n’est pas seulement de
L’aura
et
l’art
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Précisions :
Concernant les légendes des œuvres
de Huang Yong Ping parues
dans le numéro 32, il fallait lire :
La pêche
. Courtesy de l’artiste
et galerie Anne de Villepoix, Paris.
Intestins de Bouddha.
Courtesy de l’artiste et Musée
National d’Art Moderne –
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Klein
Brancusi
Man Ray
Rothko
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