Philippe
Guesdon,
l’art de la
fugue
ENTRETIEN AVEC AURORE JULIEN
AJ
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Vous travaillez depuis une vingtaine d’années
d’après les gravures sur bois d’Albrecht Dürer.
Quelles sont les raisons de cette obsession?
PG
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Dürer est à la gravure ce que Bach est à la
musique. Dans le profond respect des règles,
chacun parvient grâce à une extrême virtuosité, à
les dépasser, offrant à l’autre la jouissance d’une
totale liberté. Pour en comprendre le mécanisme,
comme un enfant démonte un jouet, je découpe en
bandes la gravure et la remonte inversée en miroir
pour retrouver le sens dans lequel Dürer gravait le
bois. En brouillant la narration du sujet, j’accentue la
lisibilité des qualités plastiques de l’œuvre. Je sais
bien sûr que le maître de Nuremberg ne m’a pas
confié ses tirages, acceptant que je les découpe ainsi
en lanières pour les rebâtir…Mais je finis par penser
qu’il n’aurait pas trouvé le jeu insolent et s’en serait
plutôt amusé car respectant le sujet, j’en change
simplement le point de vue.
AJ
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Vous dites souvent que vous travaillez d’après
des œuvres choisies, car vous ne vous sentez pas
capable d’inventer. Pourtant, votre peinture inter-
roge sa propre place, dans l’union d’un classicisme
baroque ou médiéval, avec une liberté picturale
contemporaine.
PG
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Parlant de mon travail de
relecture
, mon ami
sculpteur Jean-Léonard Stoskopf avait une jolie
Retour sur une exposition de la galerie Nathalie Fiks à Paris, du 16 au 27 novembre dernier.
L’exposition
Passages
montre une articulation majeure de l’œuvre de Philippe Guesdon : un travail conséquent,
prolifique et généreux, tissé au fil des décennies autour du vide et de la vibration. Cette relecture contemporaine
des gravures sur bois d’Albrecht Dürer met en lumière leur puissante structure picturale, sans évoquer leur message
moral ou religieux.
Aurore Julien
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À la découverte de l’ensemble de votre
œuvre, j’ai été impressionnée par sa subtilité. Vous
vous placez entre tradition et contemporanéité, trait
et réserve, figuration et abstraction.
Philippe Guesdon
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Ce sont trois objectifs de travail, des
entre-deux devenus au fil des ans des langages. Les
liens entre passé et présent me fascinent. Ils mettent
en lumière les fondements de la nature humaine, ils
témoignent du questionnement monomaniaque des
hommes… Au fond, les sujets importants sont tou-
jours les mêmes. Prenez l’exemple des vanités et
comparez la
Naturemorte à l’échiquier
de Bauguin aux
toiles d’Opalka : ces deux artistes content la même
histoire; c’est juste lamanière de la dire qui change…
Le rapport trait-réserve interroge deux sujets qui me
semblent fondamentaux. D’une part, la “représen-
tation du vide” : j’ai peint pendant plus de dix ans les
jours
des dentelles pour comprendre comment ce
vide peut prendre forme plastiquement ! Et puis, la
vibration subtile qui doit exister en peinture entre
le sujet et le fond : ce que Braque appelait l’
Entre.
D’autre part, la frontière entre figuration et abstrac-
tion est ténue… C’est au fond le
regardeur
qui décide.
Pour ma part, je me considère comme un peintre
figuratif puisque je pars d’un sujet identifiable. Il n’est
pourtant que le support à mes questionnements de
peintre et donc celui qui regarde peut admettre qu’il
n’est que prétexte à la peinture, et l’oublier très vite…
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